top of page
  • Photo du rédacteurCercle des Épargnants

« Placer 10% à 15% de son épargne dans les matières premières est cohérent sur le long terme »

Alessandro Giraudo
Alessandro Giraudo, historien et économiste

Investir dans les matières premières permet-il aux épargnants de se protéger contre l’inflation ?

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer ce n’est pas obligatoirement le cas. Sur la période allant de 1974 à 2019, les prix des matières premières hors énergie sont restés stables en termes réels (déflatés de la hausse des prix). Donc cela ne nous protège pas contre l’inflation au sens où on l’entend généralement.  Il y a une exception : l’or. En 1971, l’once d’or se négociait à 35 dollars. Aujourd’hui, elle tourne autour des 2400 dollars. L’or a donc plus que protégé l’épargnant ! C’est assez unique qu’un actif, qu’une matière première, puisse vivre dans un monde parallèle où le temps semble comme suspendu.


Pour quelles raisons faut-il investir dans les matières premières ?

Pour une réponse toute simple : l’offre de matières premières n’est pas infinie, donc les prix sont appelés à monter sur le long terme. Alors que les mines voient actuellement leur teneur en minerai baisser, progressivement, les réserves de matière première se trouvent dans des zones de plus en plus hostiles, que ce soit en termes géographiques ou politiques ce qui accroît ce phénomène de rareté progressive. Un exemple ? Il y a 40 ans la teneur en or dans les mines spécialisées était d’environ 7 à 8 grammes par tonne extraite. Aujourd’hui on est en dessous des 5 grammes. Dans quelques mines à l’est de l’Australie la teneur est même tombée à 0,5 gramme par tonne. L’argent ? On en récupérait 500 grammes par tonne de roche extraite il y a 40 ans ; désormais c’est moins de 200 grammes. Le cuivre ? Il est passé de 10kg par tonnes, il y a 40 ans, à 5 aujourd’hui…C’est la raison fondamentale de la hausse des prix : extraire des matières premières coûte de plus en plus cher et nécessite des machines de plus en plus sophistiquées. Aujourd’hui, une société minière qui veut réaliser un nouvel investissement et achète le droit à prospecter doit attendre 15 ans avant d’extraire son premier lingot. Cela représente un coût d’investissement colossal qui se répercute sur le coût final de la matière première. C’est la raison pour laquelle l’extraction minière a généré seulement 140 milliards de dollars d’investissement l’an dernier, à comparer aux 2900 milliards mis dans l’énergie « noire et verte » !


Malgré cette hausse des prix, on voit encore beaucoup d’épargnants acheter de l’or…

Oui il y a clairement une idée de valeur refuge derrière ce phénomène. On a un peu le sentiment que certains épargnants commencent à se méfier de la monnaie classique, sans doute parce que les banques centrales ont trop actionné la planche à billet au cours des dernières années ce qui pèse nécessairement sur la confiance que l’on peut avoir à long terme sur la valeur de la monnaie. Cette confiance est aussi altérée par la très grande quantité de dette souveraine qui a été émise par les gouvernements pour couvrir les déficits publics. Le total de la dette publique représente plus de 310 trillions de dollars soit trois fois le PIB mondial annuel. Cela dévalorise aussi la monnaie « classique ». L’or et quelques autres matières premières permettent de compenser ces craintes.


Mais le prix de l’or peut-il continuer à grimper ?

Les niveaux actuels des prix de l’or sont effectivement très élevés. Un bon moyen de s’en rendre compte est de les comparer à ceux des autres matières premières. Avec un kilo d’or aujourd’hui vous pouvez acheter 228 tonnes de blé ou 60 tonnes de cuivre. C’est très spectaculaire !


Quelle est l’influence de la géopolitique sur le prix des matières premières ?

Elle est clef, évidemment car la production de matière première est extrêmement concentrée. En gros, 5 ou 6 zones assurent l’essentiel de la production mondiale de minerais : l’Afrique du Sud, la Russie, l’Afghanistan, une partie des Andes, les Rocheuses américaines et la République démocratique du Congo. On peut éventuellement rajouter l’Australie mais guère plus. Pluton, le Dieu des mines a très mal réparti les minerais dans le monde et a généré des inégalités colossales entre les zones ! Prenez l’indium, une matière première essentielle à la luminosité des téléphones portables : on en produit 0,001% ppm c’est-à-dire qu’on en retrouve 1 gramme sur 1 milliard de grains de terre. Ou l’uranium dont 42% est produit au Kazakhstan. A cette « mauvaise » distribution naturelle s’ajoute le fait que les richesses minières se trouvent souvent sous les pieds de population très pauvres, ce qui génère des tensions sociales et déstabilise les pays concernés. In fine cela rend leur accès plus coûteux encore. Enfin, les matières premières se trouvent de plus en plus dans des zones difficiles d’accès, accentuant les contraintes pour les sociétés minières.


Jusqu’où peut-on investir son épargne dans les matières premières ?

Difficile de répondre à cette question car chacun a ses propres particularités mais placer de 10% à 15% de son épargne dans les matières premières est assez cohérent si on a une version de long terme de cette épargne. Mais on doit le faire uniquement à travers des fonds spécialisés – des SICAV actions par exemple - car c’est un marché de professionnel. Le particulier peut toujours aller acheter un Napoleon en or au coin de sa rue mais ce n’est pas de l’épargne proprement dite.


Et l’eau, peut-elle être considérée comme une matière première ?

Il s’agit clairement d’un thème d’investissement auquel il faut s’intéresser car il est lié aux matières premières. Ne serait-ce que parce qu’il faut d’immenses quantités d’eau pour produire des matières premières : 1 kilo de lithium nécessite 1200 litres d’eau pour être extrait ; 1 tonne de charbon demande 7 à 8 tonnes d’eau pour extraire et nettoyer ! C’est très problématique, en Afrique du Sud par exemple où la sècheresse empêche de réfrigérer l’air dans les mines et bloque donc l’extraction par les hommes. Investir dans des produits financiers liés à l’eau est donc un sujet à regarder.

Comentarios


bottom of page