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INTERVIEW - Jennifer Douieb Avocat fiscaliste au Cabinet Veyssade

Photo du rédacteur: Cercle des ÉpargnantsCercle des Épargnants


Portrait de Brice Tinturier
Jennifer Douieb

« A vouloir contenter tout le monde, on se retrouve finalement avec une Loi de Finances assez creuse ».


Quels sont selon vous les éléments les plus significatifs de la loi de finance en matière de fiscalité pour les particuliers ?

La première chose est peut-être la revalorisation du barème de l’Impôt sur les Revenus de 1,8 % pour chacune des tranches afin de neutraliser les effets de l’inflation sur l’imposition des ménages.


La seconde est le rehaussement de la fiscalité immobilière à deux niveaux. Le premier niveau concerne les plus-values réalisées lors de la vente d’un bien immobilier, mis en location meublée non professionnelle (LMNP). En effet, il est prévu désormais la réintégration des amortissements qui avaient été déduits comptablement à l’impôt sur les revenus pour calculer la plus-value imposable. Sont exclues de cette évolution les résidences étudiantes, les résidences seniors et les résidences pour personnes handicapées. La réintégration de ces amortissements va augmenter significativement les impôts sur ces plus-values immobilières. En revanche, la bonne nouvelle est que les propriétaires seront toujours exemptés d’impôt sur les PV de cession après une détention de 22 ans de leur logement et de prélèvements sociaux après 30 ans. Le second niveau concerne la possibilité donnée aux collectivités locales d’augmenter de 0,5 point les droits de mutation à titre onéreux sur les achats immobiliers à partir du 1er avril. Ces frais sont progressifs et varient en fonction de la valeur d’achat du bien immobilier avec un plafond fixé dorénavant à 5%. Les primo-accédants ne seront pas concernés par cette hausse des droits de mutations à titre onéreux. Les 7% que nous appelons habituellement les « frais de notaires » pourraient donc passer à 7, 5%.


Enfin les ménages avec un revenu fiscal annuel supérieur à 250 000 euros pour une personne seule et 500 000 euros pour un couple avec un taux d’imposition sur le revenu inférieur à 20 %, seront assujettis en 2025 à une « contribution différentielle sur les hauts revenus » (CDHR). Cette mesure est limitée à une année et vise à imposer ces contribuables à hauteur d’au moins 20 %.

 

Plus spécifiquement, y-a-t-il des éléments de nature à affecter les épargnants ?

La CDHR et le changement d’imposition relatif à la fiscalité immobilière peuvent avoir des conséquences pour les épargnants. Mais en dehors de ces mesures, à mon sens, il n’y a pas de grands changements puisque la flat tax est finalement maintenue à un taux de 30%. La plupart des épargnants ne vont donc pas constater de grandes différences. Seuls les contribuables qui avaient l’habitude de percevoir uniquement des revenus soumis à la flat tax comme des dividendes plutôt que des revenus du « travail » subiront une hausse de leur fiscalité dès lors que les 12,8% d’impôt sur les revenus qu’ils avaient l’habitude de payer passeront au minimum à 20%. En ajoutant les prélèvements sociaux de 17,2%, cela conduit à une imposition de 37,2% au lieu de 30%.


Il y a également eu un petit allégement sur les droits de donations : les dons familiaux d’argent (enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants) sont exonérés de droits de mutation s’ils sont destinés à l’achat ou à la construction d’une résidence principale, ainsi qu’aux travaux de rénovation énergétique du bien éligibles à la prime de transition énergétique dite MaPrimeRenov. Cette exonération est plafonnée à 100 000 euros par donateur et dans la limite de 300 000 euros par bénéficiaire à condition de conserver le bien pendant au moins cinq ans. Il peut aussi être loué mais la location ne peut pas être faite à un membre du foyer fiscal du donataire. Cette mesure s’applique aux dons faits entre le 16 février 2025 et le 31 décembre 2026.  Cela devrait pousser quelques épargnants à transmettre par anticipation.

 

Des auto-entrepreneurs aux « ultra-riches » on a senti tout au long des débats la volonté de taxer davantage les entrepreneurs quels qu’ils soient. Est-ce une réalité ?

La loi de finances prévoyait la mise en place d'un seuil unique de franchise de TVA pour les micro-entrepreneurs (service et commerce de biens) et les petites entreprises fixé à 25 000 euros de chiffre d’affaires. Le 6 février, le ministre de l’Économie, Eric Lombard, a annoncé la suspension de l’uniformisation de ce seuil, initialement prévue pour le 1er mars 2025. Cette décision intervient après de vives inquiétudes exprimées par les travailleurs indépendants, les organisations patronales et certains partis politiques. Finalement il n’y aura donc pas, pour le moment, de modifications pour les auto-entrepreneurs. Les mesures retenues dans la LF 2025 sont à l’image de l’instabilité politique en France depuis juin 2024 et du difficile vote du budget 2025 : tout a été envisagé ou imaginé à un moment donné et finalement peu de mesures ont été retenues pour ne stigmatiser aucune catégorie sociale en particulier. A vouloir contenter tout le monde, on se retrouve finalement avec une Loi de Finances assez « creuse ». On peut retenir malgré tout la CDHR qui a pour objectif de taxer les plus fortunés. Cependant il convient de préciser que cette mesure concerne moins de 25000  contribuables français, donc très peu d’épargnants.

 

 

Les grandes sociétés ont été mises à contribution avec une surtaxe d’IS que le gouvernement promet temporaire, pour durer une année. Cette mesure est-elle de nature à susciter des délocalisations d’entreprises ?

Je ne pense pas qu’une mesure temporaire puisse entraîner des délocalisations en masse parmi les grandes entreprises françaises. Une grande entreprise ne délocalise pas l’ensemble de ses activités aussi facilement, sans impact économique notable notamment fiscal ; par ailleurs, nombre d'entre elles ont déjà partiellement transféré certaines unités de production vers des pays offrant une compétitivité sociale supérieure.


Cependant, si cette mesure devait se transformer en une solution durable – à l’instar de la CVAE ou de la Contribution additionnelle à l’IS, nous sommes quand même les spécialistes pour conserver des années des mesures temporaires… – la situation serait différente. Elle impacterait en premier lieu l’investissement en France, c’est-à-dire l'implantation d’entreprises étrangères dans notre pays. N’oublions pas que la fiscalité est l'affluent principal de notre compétitivité économique !


Au-delà des grandes entreprises, il est essentiel de considérer les PME. Depuis juin 2024, notre cabinet a observé une forte demande de délocalisation de la part des PME et de leurs dirigeants. Ces dernières, notamment dans le secteur des services, sont plus agiles et plus promptes à quitter la France. Nous y avons vu, une véritable réaction face à l'incertitude fiscale française. Cette nouvelle donne économique doit impérativement être prise en compte par nos politiques, et nous n’avons d'autre choix que d’accompagner ce mouvement en tant que praticiens du droit.

 

La tendance en France reste à s’appuyer sur la fiscalité pour essayer de combler les déficits plutôt que de réduire la dépense publique. Ne prend-on pas le risque d’affaiblir le consentement à l’impôt en France ?

Les acteurs économiques ne s'opposent pas à l'idée de contribuer à l'effort de financement de la dette publique ; ils souhaitent simplement s'assurer que leur contribution sera réellement efficace. Autrement dit, ils veulent savoir « où vont leurs impôts ? ».


Depuis toujours, la fiscalité constitue un levier pratique, visible et immédiat qui parvient plus ou moins à rallier les politiques de tous horizons. Cependant, augmenter les recettes sans comprendre et analyser pleinement les coûts, revient à verser dans l'absurde, à l'image du tonneau des Danaïdes. Dans une telle situation, une entreprise serait contrainte de réaliser un audit de gestion et une cartographie de ses flux financiers, afin d’éviter la faillite. L'État est-il donc si différent d'une entreprise ?


À mon avis, pour restaurer la confiance des contribuables, l'État doit rapidement démontrer sa volonté de comprendre ses dépenses et de garantir une allocation efficace de ses recettes. Ce n'est qu'alors que des solutions pourront être envisagées.


Il y aura toujours des arbitrages à faire, mais au moins la confiance sera restaurée.


-La France a le plus important taux de prélèvement obligataire au monde. Est-ce une réalité sur le terrain ou bien la situation est-elle plus nuancée ?

La France est souvent citée comme ayant un taux de prélèvement d’impôts et de prélèvements sociaux parmi les plus élevés au monde. Cependant, cette fiscalité soutient un ensemble de services publics qui ont longtemps été les plus performants au monde tels que la santé, l’éducation et la sécurité sociale, et qui contribuent à la cohésion et à la qualité de vie en France.


Les Français ont la chance d’avoir un filet de sécurité sociale, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs (i.e. aux états unis). La mission de nos décideurs est aujourd’hui de préserver à tout prix ce filet social avec une meilleure gestion de nos recettes et nos dépenses.


Les pays scandinaves ont une pression fiscale plus forte qu’en France qui avoisine les 50% de leur PIB par exemple.


Certains impôts spécifiques, comme l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), n’ont pas d’équivalent direct dans d’autres pays, ce qui complexifie les comparaisons internationales et donne à la France l’image de vouloir tout imposer. Les américains n’ont pas d’impôt sur la fortune Immobilier mais l’équivalent de la taxe foncière dans certains Etats est plus élevé que notre IFI et il y a beaucoup d’autres exemples…


A mon avis, le point de discorde majeur demeure sur les droits de succession en France, particulièrement impopulaires, car perçus comme une double imposition d’un même patrimoine, renforçant le sentiment d’injustice fiscale pour les héritiers. Sans doute y aurait-t-il un sujet à creuser ici. Je pense que les politiques devraient alléger notamment les droits de donations afin que les transmissions de patrimoine se fassent plus jeunes générant un impact plus rapide dans l’économie réelle.


En définitive, si les indicateurs globaux montrent une forte charge fiscale en France, la situation est plus équilibrée lorsqu’on considère l’ensemble des services publics offerts et la diversité des mécanismes fiscaux mis en œuvre.




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