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« Plus que jamais, la prudence est de mise face à une situation économique et géostratégique générale délicate »

Entretien avec Hubert Rodarie, Président de l’Af2i

 

Portrait d'Hubert Rodarie
Hubert Rodarie

Quelles sont les missions de l'Af2i ?

 

HR : L'Af2i est l’Association française des Investisseurs Institutionnels. Elle a été créée, il y a plus de 20 ans pour travailler ensemble sur un certain nombre de sujet et notamment prendre du recul face à la diversité croissante des produits financiers proposés par les marchés, les sociétés de gestion et les banques. L’Af2i regroupe ceux que l’on appelle des « investisseurs institutionnels », soit des entités publiques ou privées dont le modèle économique a pour conséquence de toujours détenir des capitaux à investir. Notre originalité réside dans le fait que nous rassemblons des intervenants de différents secteurs, assureurs, caisses de retraite, institutions de prévoyance, fonds d’états, entreprises… Par-delà les secteurs d’activités, au sein de l’Af2i nous nous concentrons sur l'acte d'investir lui-même, avec ses problématiques, les techniques, mais aussi les enjeux et les responsabilités sociales qui en découlent.

En 2021, l'Af2i fut la première association professionnelle à se donner une raison d'être : « mettre le long terme au cœur des dispositifs économiques, sociaux et financiers ». Face à « l’instantanéisme » contemporain très présent dans la finance, la conviction des membres de l’Af2i est que l'investissement à long terme est crucial. Notre objectif à cet égard rejoint ceux des épargnants particuliers qui, la plupart du temps, inscrivent leur patrimoine dans cet horizon de long terme.

 

 

CL : Quels sont, selon vous, les grands enjeux actuels, notamment en termes de réglementation et de développement durable ?

 

HR : Les enjeux se situent à plusieurs niveaux : conjoncturel, institutionnel et réglementaire.

Sur le plan conjoncturel, après la reprise post-COVID, nous sommes en phase de quasi-stagnation de l’économie, avec une croissance certes positive mais très faible. Enormément de capitaux demandent à être investis mais en face, l’offre d’investissements reste plus mesurée. Par ailleurs, l’objectif politique européen est d’orienter l'épargne vers des investissements de transition, visant à passer d'un modèle économique principalement consumériste à un modèle plus durable, c’est-à-dire qui prend en compte des aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Dans cette perspective, des investissements considérables, estimés entre 700 milliards et 1 000 milliards d'euros par an ont été identifiés. Sur le plan institutionnel, des initiatives sont en cours préconisant une Union des marchés de capitaux européens pour concourir à organiser les financements nécessaires. Enfin, l'Union européenne travaille à des réglementations visant à promouvoir la transparence et à encourager les investissements alignés avec les objectifs de transition écologique et les accords de Paris. Ces réglementations imposent des obligations d'information plutôt que des interdits, permettant aux investisseurs, particuliers et institutionnels, d’agir sur les entreprises pour qu'elles se conforment à ces objectifs politiques de transition.

 

CL : Comment les épargnants peuvent-ils s'assurer que leur épargne contribue réellement à la transition écologique ?

 

HR : Actuellement, nous avons un marché de l’épargne assez concentré autour de grands établissements et réseaux avec des produits largement standardisés adaptés à une large distribution. Cela crée un défi de communication car il faut simplifier des sujets complexes pour les rendre accessibles au plus grand nombre, y compris aux conseillers et gestionnaires de patrimoine. Or la complexité croissante avec les aspects ESG de l’analyse des investissements rend la communication difficile. Dans ce cadre, vendre des produits liés à un indice, ou labellisés, est une manière de simplifier le message, même si cela limite les choix de gestion. Les efforts pour rendre les informations sur les fonds plus accessibles sont en cours, mais la surabondance d'informations sur le financement de la transition complique davantage la situation.

 

Néanmoins, il est important de souligner que les travaux sur l'investissement durable sont en cours depuis de nombreuses années. L'intégration de critères ESG dans les stratégies d'investissement se pratique depuis plus de vingt ans avec des progrès notables dans la mesure des impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance. Des méthodes de mesure des bilans carbone sont en développement, tout comme des propositions d'intégration de ce que l’on appelle des externalités environnementales dans les comptabilités.

 

Total a soulevé un débat sur l’opportunité de rester coté à Paris. Quelle est votre vision de la place de Paris aujourd'hui en termes de compétitivité et de solidité ?

 

HR : Sur un plan technique, en termes de liquidité, de qualité des prix, la place de Paris n'a pas de handicap particulier pouvant justifier une décision des entreprises françaises à aller se coter sur une autre place. Mais il est clair que nous touchons actuellement les limites de l’assimilation des personnes morales à des personnes physiques en matière de définition de sa nationalité ou de choix de droits statutaires. Un impératif exclusif de performance ou de valorisation peut justifier des décisions que l’on peut juger étonnantes. Quoiqu’il en soit, il est crucial d'améliorer le dialogue entre les entreprises, et les investisseurs institutionnels, publics et privés, ainsi que les particuliers pour mieux aligner les objectifs des entreprises et répondre aux demandes politiques des sociétés civiles. Promouvoir le dialogue est l’un des buts adoptés récemment par l’Af2i, notamment à la suite des 19 propositions faites début 2023. Les tensions, comme le cas de Total, soulignent l'importance d’un dialogue régulier et une connaissance mutuelle pour éviter de tomber dans le piège de la simplification excessive, et des dialogues impossibles. Ces enjeux dépassent la problématique de la Place financière parisienne mais engage la communauté de destin que partage tout citoyen, dans tous ses aspects, économiques sociaux et politiques

 

CL : Que dire aux épargnants qui s’interrogent sur les prochains mouvements de marché ?

 

HR : Plus que jamais, la prudence est de mise face à une situation économique et géostratégique générale délicate. Le modèle économique axé sur l'ouverture et la mondialisation, qui s’est déployé depuis les années 1980 jusqu'aux années 2020, a montré ses limites avec les crises de 2008/2011, avec la nécessité d’une surliquidité permanente et avec l’installation d’une compétition entre les Etats Unis et la Chine de plus en plus aigüe. Une chose est sure il est temps de repenser nos modes d'investissement et de reconnaître que les tendances passées ne peuvent être prolongées sans ajustement.

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